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Le physicien philosophe

Le professeur Mario Bunge, titulaire de la chaire John Frothingham de logique et métaphysique à l'Université McGill, est un philosophe des sciences de renommée internationale. Il a écrit des centaines d'articles et des dizaines d'ouvrages, dont Philosophy of Science en deux volumes et Treatise on Basic Philosophy en huit volumes. M. Bunge a été professeur invité en Europe et en Amérique latine et visiteur stagiaire à la University of New South Wales.

À 85 ans, cet érudit mène une carrière universitaire aussi active que ses collègues qui ont la moitié de son âge. Causeur brillant, intéressé par les arts, il lit présentement La Foire aux vanités de Thackeray, « quelque chose que j'aurais dû lire il y a 60 ans », dit-il, et dont il adore les personnages « méprisables ».

« Je suis un grand amateur de littérature anglaise. Avant, j'aimais beaucoup la littérature américaine mais je trouve qu'elle est en perte de vitesse. Je crois que la littérature est plus dynamique au Canada à l'heure actuelle. » Lui-même un personnage controversé, Bunge est un fervent admirateur de Margaret Atwood, de ses écrits et de ses opinions politiques.

« Je lui reproche une seule chose : le fait d'avoir dit récemment que " La science n'est qu'un outil, elle n'est pas une chose de l'esprit ". Manifestement, elle n'a aucune idée de la place qu'occupe la spiritualité dans la science! »

L'imagination est l'essence de la science, croit-il, et Margaret Atwood commet une erreur qui n'est que trop répandue. La science, les mathématiques et l'innovation technologique exigent énormément d'ingéniosité. « La science est l'étude de la réalité, mais on ne peut pas étudier la réalité simplement en la regardant. Il faut inventer, imaginer des idées, des hypothèses et des théories, les créer de toutes pièces. »

M. Bunge croit toutefois qu'il y a une différence fondamentale entre l'art et la science. « Contrairement aux

histoires inventées dans la littérature ou la religion, les histoires scientifiques doivent être vérifiées - confrontées à la réalité. »

De la même façon, les sciences humaines doivent être démontrables. « Si elles veulent se définir comme sciences, leurs théories et hypothèses doivent être vérifiables. Elles doivent représenter la réalité. »

Pendant des décennies, la philosophie de Mario Bunge a été axée sur l'exploration des détails de la physique, des grands thèmes de la métaphysique et des plus récentes théories réalistes de la connaissance. Natif d'un pays très politisé, l'Argentine, et nourri intellectuellement par une intelligence vorace et un vaste champ d'apprentissage, il aime voir la science au service de la pensée progressiste.

Le professeur Bunge observe deux mouvements au sein du monde universitaire d'aujourd'hui : l'émergence de disciplines (« une fragmentation de plus en plus fine en des centaines de sciences différentes ») et une convergence des disciplines (« les gens commencent à réaliser que les frontières entre les disciplines sont arbitraires, artificielles »). Toute pensée sociale inclut des composantes biologiques, environnementales, politiques, économiques et culturelles.

Même s'il prône la recherche imaginative et la collaboration interdisciplinaire, il critique sévèrement les fusions de disciplines, tendance qu'il juge irresponsable et qualifie de vaste fumisterie. « La dernière en lice est la " biopoétique ", une tentative pour comprendre la littérature en termes biologiques. Imaginez!

« On ne peut pas faire abstraction de la société, passer directement de la biologie à la poésie. On doit tenir compte de beaucoup d'autres choses. La génétique ne peut pas expliquer Milton ou Shakespeare. Ou Margaret Atwood. »

Mario Bunge

Chiffres précis et application sociale sont des éléments caractéristiques des thèmes qui éveillent la curiosité de Mario Bunge. Il a été invité l'été dernier à présenter ses points de vue sur la sociologie et la criminalité lors d'un symposium international sur la criminologie qui s'est tenu à Cambridge. « Ma présence les intéressait parce que j'étudie les mécanismes sociaux », explique-t-il.

Les résultats d'une récente étude statistique publiés par American Sociological Review ont suscité son enthousiasme. L'étude a démontré que si on offre des emplois, même de courte durée, à des criminels qui ont entre la mi-vingtaine et la fin de la vingtaine, ils renonceront au crime. « Quand le chômage diminue, la criminalité diminue également », déclare Bunge, qui ajoute qu'aux États-Unis durant les années Clinton, une période où le taux d'emploi a grimpé en flèche, les homicides ont diminué de moitié.

Pendant son enfance en Argentine, M. Bunge a baigné dans la pensée socialiste. Sa mère, une infirmière allemande, avait travaillé en Chine et en Argentine avant la Première Guerre mondiale. Son père, Argentin d'origine, était médecin, législateur de gauche et sociologue amateur. Ce pionnier de la médecine sociale avait rédigé en 1936 un projet de loi très étoffé qui recommandait l'instauration d'un régime d'assurance-maladie universel. Son passe-temps : traduire Goethe en vers.

« J'ai eu de la chance de grandir sous son aile. À la maison, les conversations que j'entendais portaient sur la politique, la sociologie, la médecine et la littérature », explique Bunge.

Il a étudié la physique et les mathématiques à la Universidad Nacional de La Plata, de 1938 à 1944. Pendant ses études, il a créé une école destinée aux travailleurs qui accueillait les étudiants après leur journée de travail. Cinq ans plus tard, le gouvernement mettait fin à ses efforts d'éducation populaire.

Bunge a continué de travailler en physique nucléaire et atomique sous la tutelle de Guido Beck qui étudiait avec le physicien allemand Werner Heisenberg et qui a été le premier à proposer le modèle nucléaire en couches. Pendant tout ce temps, Bunge étudiait la philosophie par ses propres moyens. Après avoir obtenu son doctorat en 1952, il s'est intéressé aux énigmes de la mécanique quantique.

« J'ai passé 60 ans de ma vie à essayer de comprendre la physique quantique et je crois que je commence à y arriver à travers le voile philosophique », dit-il. L'an dernier, il a publié son plus récent article sur le sujet, dans lequel il propose de nouvelles variables pour représenter correctement la position et la vélocité d'un électron. « Je voulais me prouver que mon cerveau était encore capable d'affronter ce genre de choses même si j'ai plus de 80 ans. Je crois avoir réussi. »

Frustré par le manque de ressources intellectuelles en Argentine, Bunge a décidé de s'expatrier en 1963.

« Jusqu'à récemment, l'Amérique latine vivait sous le joug de la croix et de l'épée, un joug à l'ombre duquel pas grand chose ne pousse. » Il craignait également la dictature militaire, qui a de fait été instaurée trois ans plus tard. S'il était resté, il aurait certainement été assassiné.

Avec sa seconde épouse, la mathématicienne Marta Bunge, il est parti pour les États-Unis où il a enseigné la physique et la philosophie. Une bourse de recherche de l'Université de Freiberg en Allemagne lui a donné l'occasion de rédiger son chef-d'œuvre, Foundations of Physics, dans lequel il structure les plus importantes théories de la physique.

Pendant son séjour en Europe, Marta s'est vu offrir un stage postdoctoral à McGill. « Bien sûr, je voulais suivre ma femme », dit Bunge. Il a donc écrit au professeur Raymond Klibansky, alors chef du département de philosophie de McGill, pour s'enquérir des postes disponibles. Même si Yale cherchait également à attirer les Bunge, ils ont préféré éviter les États-Unis parce que « dans les universités, la plupart des gens étaient en faveur de la guerre [du Vietnam], que nous trouvions immorale ».

Les Bunge se sont donc installés à Montréal en 1966. C'est là qu'ils ont élevé leurs deux enfants et ont entamé leur longue association avec McGill. (Marta a été nommée professeur émérite de mathématiques en 2003.) De son premier mariage, Mario Bunge avait eu deux enfants; ils vivent l'un en Argentine et l'autre au Mexique. Il est fier de sa progéniture - « trois scientifiques et un architecte, pas mal du tout! » - et il est heureux d'avoir trouvé un foyer dans une ville multilingue, riche sur le plan culturel. Toutefois, ses fils et ses amis qui vivent en Argentine lui manquent, tout comme la vie intellectuelle publique si vibrante de l'Amérique latine.

Même s'il se sent libre ici, au Canada, il est frustré par les conceptions intellectuelles erronées et réactionnaires qui ont vu le jour durant la révolte contre la science qui a rayonné à partir de Berkeley dans les années soixante.

« Certains leaders étudiants ont été induits en erreur par des philosophes - Habermas et tous ces charlatans - qui disaient que la science est un outil du capitalisme tardif. Donc, la révolte contre l'establishment impliquait le rejet de la science. »

Bunge considère que les soi-disant gauchistes qui ont émergé de cette tendance sont plutôt des obscurantistes et des droitistes, parce qu'ils refusent d'appliquer les normes scientifiques à l'étude des problèmes sociaux « et donc, ils n'aident pas leur propre cause ».

Bunge est clairement un défenseur des sciences humaines, un point qui échappe à ses détracteurs. « Un trait typique des gens de droite est d'essayer d'empêcher l'étude objective de la réalité sociale parce que c'est dangereux. » Bunge trouve plutôt révélateur que l'administration Reagan ait réduit de moitié le financement des sciences humaines. « Les gens de droite n'aiment pas les sciences humaines sérieuses. »

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