Des mots pour guérir les maux

Des mots pour guérir les maux McGill University

| Skip to search Skip to navigation Skip to page content

User Tools (skip):

Sign in | Wednesday, November 14, 2018
Sister Sites: McGill website | myMcGill

McGill News
ALUMNI QUARTERLY - winter 2008
McGill News cover

| Help
Page Options (skip): Larger
Home > McGill News > 2003 > Summer 2003 > Des mots pour guérir les maux

Des mots pour guérir les maux

Des mots our guérir les maux

Les diagrammes. Les moniteurs. La tension artérielle. Le rythme cardiaque. Le taux d'insuline. Les anticorps. Voilà les indicateurs qui jalonnent l'univers du médecin. Imprégné de son bagage scientifique et technique, il doit rapidement cerner la nature du mal dont souffre le patient et déterminer les mesures à prendre pour le remettre sur pied. Cependant, la complexité du dossier peut être occultée par les nombres et les données brutes.

Le malade est à l'hôpital, souffrant. S'il a le rôle titre, il a à ses côtés toute une brochette d'acteurs de soutien : le médecin, la famille et le personnel infirmier, qui ont tous des idées bien arrêtées sur le sujet. Dans quelle mesure la qualité des soins est-elle tributaire de la faculté de comprendre ce que le malade ressent? Cette question a amené les professionnels de la santé et les étudiants à se tourner vers la « médecine narrative », qui consiste à écrire sur le malade et le processus de prestation des soins afin d'avoir une idée précise de la situation, susceptible d'être stressante et éprouvante.

Certains médecins ont toujours eu envie de coucher leurs états d'âme par écrit. Mentionnons notamment Maureen Rappaport, professeur de médecine de famille, qui a toujours eu « la plume qui lui démangeait ». Durant ses études, elle sait que sa voie est tracée. « Je vais faire ma médecine. J'aurai ainsi de la matière pour mes récits. » Elle cite Tchekhov en s'esclaffant : « La médecine est mon épouse et la littérature, ma maîtresse. » Chose étonnante pour les contemporains que nous sommes, le célèbre auteur russe écrivait pour arrondir ses fins de mois, ses honoraires de médecin étant insuffisants.

Caption follows Maureen Rappaport

Le Dr Rappaport, qui a déjà publié des recueils de poésie et de nouvelles, a commencé par suivre des ateliers d'écriture et des séminaires au Ohio's Center for Literature, Medicine, and the Health Care Professions, il y a environ cinq ans. Les malades qu'elle rencontre à son cabinet ou visite à domicile l'inspirent. « Ce sont souvent les cas les plus difficiles qui sont au coeur de mes récits. Et la maison du malade est une grande source d'inspiration. On perce son intimité; on voit les photos des membres de sa famille. C'est un univers en mouvement qui est très riche », explique-t-elle. Ses migraines attisent également sa créativité. « Elles ont eu un impact positif. La douleur est en quelque sorte une prise de conscience. On dit que la maladie est sans doute la meilleure chose qui puisse arriver à un médecin. »

L'écriture a été une véritable bénédiction dans l'exercice de sa profession. « J'ai compris que l'écriture avait des vertus thérapeutiques pour moi. Ça m'a emballée. » Cet exercice l'a également aidée à traverser des périodes difficiles au travail. « J'ai compris que, plus je suis confrontée à des vents contraires, meilleurs sont mes récits. Donc, si ça se corse, je dis bravo! », de dire le Dr Rappaport.

Elle a constaté que le fait d'écrire sur ce qu'elle vit avec les patients l'aide à accepter une dure réalité : elle ne peut pas toujours trouver une solution aux problèmes des gens qui la consultent. « J'avais parfois l'impression d'être en osmose avec leurs problèmes, comme si des ondes négatives me traversaient. En me permettant de reformuler ou d'analyser ce que j'ai entendu, l'écriture devient donc un exutoire. »

De même, les arts littéraires peuvent avoir un effet bénéfique sur les personnes qui se font ausculter. Frank Carnevale, professeur et infirmier-chef de l'unité de soins intensifs pédiatriques de l'Hôpital de Montréal pour enfants, a recours à la littérature enfantine pour aider les jeunes malades et leur famille. « Je rencontre souvent des enfants qui souffrent énormément et j'utilise différentes méthodes pour les apaiser : l'hypnose, la relaxation et la littérature. »

Caption follows Frank Carnevale

La littérature enfantine est une forme de distraction qui peut éclairer et captiver les enfants, de même que les amener à se concentrer sur leur guérison. « Par exemple, j'ai choisi le roman The Secret Garden -- le personnage principal est cloué au lit -- pour réconforter une fille qui ressentait une vive douleur au pied. D'après la famille, cette histoire a été une grande source d'inspiration et a aidé l'enfant à se fixer des objectifs pour recouvrer la mobilité », de poursuivre M. Carnevale.

Ses récits dépeignant des cas lourds lui ont valu une certaine notoriété dans son domaine. Mentionnons entre autres l'histoire d'un jeune Inuit de 14 ans souffrant de brûlures graves, dont il est devenu très proche. « À une certaine époque, on m'invitait comme conférencier. J'aurais pu en faire une nouvelle carrière. »

Cependant, M. Carnevale en est venu à remettre en question les bienfaits de l'utilisation de la littérature à des fins thérapeutiques. « J'avais l'impression de tomber dans le sensationnalisme. Au lieu d'améliorer la compréhension des cas, les séances sont devenues des spectacles. » Il soutient que, dans une certaine mesure, la médecine narrative tient davantage de la catharsis égocentrique que de la guérison. « Cet élément est toujours présent. Même si on fait un effort pour ne pas s'apitoyer, ça demeure de l'apitoiement. »

Quoi qu'il en soit, il croit que les récits cliniques peuvent éclairer et aider les gens, et s'efforce de dépeindre fidèlement les événements et ses réactions.

L'art du récit fait partie intégrante de la médecine selon le Dr Stephen Liben, pédiatre et professeur. « Une bonne part du rôle du médecin consiste à écouter les gens, à reformuler leur histoire et à leur retransmettre l'information. » Il a commencé à considérer le récit comme un outil thérapeutique il y a environ quatre ans, après avoir cerné des lacunes dans la formation médicale qu'il avait reçue.

« Ce que nous sommes fait partie intégrante de ce que nous faisons, et nous sous-estimons l'importance de ce fait lorsque nous élaborons le programme d'enseignement de la médecine. Ça va au-delà du contact humain, car le renforcement du moi est directement lié à la capacité de se soucier d'autrui. En définitive, le médecin n'est pas une meilleure personne pour autant -- ce qui serait quand même merveilleux -- mais il peut prodiguer de meilleurs soins en écoutant les gens qui lui racontent leur vécu. »

Caption follows Stephen Liben

Le Dr Liben a pris une année sabbatique à la Faculté de médecine afin de concevoir un séminaire destiné aux étudiants de quatrième année qui fait appel au théâtre, au cinéma et à la littérature. Il voulait ainsi amener les étudiants à analyser plus à fond les défis qui attendent le guérisseur. Il aborde des sujets tels que la souffrance, la mort et l'agonie, ainsi que les erreurs médicales.

« Dans le cours sur l'éthique du récit, je soumets aux étudiants une présentation de cas et je leur demande de rendre une décision. Faut-il renoncer à la transplantation hépatique vitale, comme le souhaitent les parents, ou faut-il donner raison aux médecins, qui insistent pour pratiquer l'intervention? »

Le Dr Liben présente un film sur le cas qui met en scène les parents, les enfants et les médecins. Le film démontre clairement que les médecins ont un parti pris. « Lorsqu'ils disposent de plus d'information, les étudiants constatent que la description du cas que je leur ai présentée était en fait très manipulatrice et biaisée. »

Le Dr Liben a ensuite demandé aux étudiants de se mettre dans le peau d'une autre personne que le médecin (le nourrisson, le frère, la maman, le papa, ou l'enfant bien portant qui a subi avec succès une greffe du foie) et d'écrire leur version de l'histoire.

Caption follows Beth Cummings

Beth Cummings, une étudiante, mentionne que le séminaire du Dr Liben l'a fait réfléchir à la relation médecin-patient, ce dont elle a rarement l'occasion avec son emploi du temps chargé. « Il m'a aidé à comprendre que les services médicaux monopolisent l'attention du praticien, alors que le malade a d'autres préoccupations. La majeure partie de leur existence, ils ne sont pas des patients. »

« Au lieu de prétendre que nous avons les mêmes objectifs et la même optique, nous devons savoir d'où nous venons et mettre en lumière les autres aspects pertinents. Si nous ne prenons pas conscience de nos partis pris et de ceux des patients, le courant ne passera pas », ajoute-t-elle.

Le Dr Rappaport essaie d'inculquer ces techniques littéraires aux médecins résidents, qui vivent une période mouvementée. « Les études de médecine changent notre façon de voir. » À son avis, les étudiants en médecine sont généralement des perfectionnistes qui se voient confiés une mission impossible. « On ne peut pas tout lire et tout faire. Il y a tous ces malades imparfaits qui ne cadrent pas dans le moule. Si au moins les personnes hospitalisées se comportaient comme de vrais patients et si les maladies savaient ce qu'elles faisaient! »

En préparant son cours, il a trouvé des textes rédigés par des étudiants en médecine qui en disaient long sur ce qu'ils avaient vécu. « Il ressort de leurs écrits que nous ne les traitons pas souvent en adultes, nous abusons de notre supériorité hiérarchique, nous leur manquons de respect ou nous leur faisons des remarques humiliantes », dit-il. « La femme qu'ils soignent leur rappellent peut-être leur grand-mère décédée il y a un an, mais c'est difficile lorsqu'on n'a personne à qui parler du cas ou de ce que ça signifie soigner des personnes souffrant d'une maladie grave. »

Il y a aussi les récits des patients. S'ils ne datent pas d'hier, ils sont devenus très tendance. Aujourd'hui, on trouve en librairie des sections entières consacrées à des ouvrages dans lesquels des patients nous racontent comment ils ont surmonté les affres du cancer du sein, de l'anorexie, de la quadriplégie, de l'amputation, du défigurement ou de la dépression. Pour le Dr Rappaport, ce sont là les mythes modernes qui abordent les mystères de la vie. « Le héros doit terrasser les dragons qu'il rencontre sur sa route. »

Ces récits peuvent être un baume sur les plaies de l'âme du malade et de sa famille. « La littérature peut aider l'enfant ayant un frère ou une sœur en phase terminale à donner un sens à la mort et à la vie », ajoute M. Carnevale. De même, les récits des patients peuvent faciliter la tâche des professionnels de la santé confrontés à une situation nouvelle.

Le Dr Liben estime que ces histoires peuvent être utiles. « Elles nous aident à réfléchir à l'impact de l'incapacité, qui est le lot de bon nombre des enfants que je côtoie, et du handicap grave sur la dignité. Que reste-t-il de leur qualité de vie? Jusqu'à quel point la vie vaut-elle la peine d'être vécue? C'est en lisant les récits des personnes gravement handicapées qui pouvaient écrire ou les comptes rendus de leurs proches, ou encore en écrivant sur ces personnes, que l'on s'interroge sur l'essence de la vie humaine. Qu'est-ce que vivre?

« On peut envisager le monde sous plusieurs angles. La vie vaut la peine d'être vécue même si on n'est pas fonctionnel ou autonome. Les médecins accordent souvent de l'importance aux caractéristiques qui font leur force et qui les ont aiguillés vers cette profession; ce sont plus précisément des personnes très efficaces, dynamiques, parfois trop cérébrales et très autonomes. Cela explique pourquoi ils ont du mal à accepter qu'une personne ne puisse être au maximum de ses capacités. »

Si l'empathie peut faciliter la guérison, le professionnel qui s'imprègne du récit des patients et de leur souffrance flirte avec l'épuisement, surtout s'il n'est pas bien encadré. Le Dr Liben juge bénéfique de lire les écrits des autres médecins qui ont été confrontés à ces questions, de même que d'apprendre à composer avec l'incertitude et l'ambiguïté du processus de soins.

« Comment analyser l'histoire de la personne et partager sa souffrance en vue de l'aider, sans se laisser submerger par ce sentiment? Autrement dit, comment trouver le juste milieu entre l'empathie et la paralysie. »

« On peut soit goûter toute la richesse du récit du patient, soit l'ignorer. Mais qu'on le veuille ou non, sa souffrance finit par nous toucher. Il est vrai qu'une relation fondée sur l'empathie nous fait mal, mais elle est plus profonde et plus révélatrice et offre davantage de possibilités de guérison », de conclure le Dr Liben.

view sidebar content | back to top of page

Search