Dans la tête de Gabrielle Roy

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Dans la tête de Gabrielle Roy

Il y a une vingtaine d'années, François Ricard se voit offrir sur un plateau d'argent un manuscrit. N'importe quel jeune universitaire aux dents longues aurait vendu son âme pour être à sa place. Pourtant, il a préféré décliner l'invitation.

Au milieu des années 70, François Ricard s'est lié d'amitié avec Gabrielle Roy, un des plus grands écrivains canadiens. Au crépuscule de sa vie, elle se souciait de plus en plus de ce qu'il adviendrait de ses notes et de ses documents.

« Vers 1980, elle me remet le manuscrit de son extraordinaire autobiographie, La détresse et l'enchantement. Elle me dit "Écrivez ma biographie à partir de ce document et publiez-la. Après, vous pourrez publier mes mémoires." Elle avait pressenti que j'allais faire le récit de sa vie même si je ne lui en avais jamais parlé. Je n'ai ni accepté, ni fermé la porte », se rappelle François Ricard, titulaire de la chaire James McGill de littérature québécoise et de roman moderne.

Passant outre aux désirs de son amie, il publie les mémoires de l'écrivaine avant de rédiger l'ouvrage qui allait lui valoir de nombreuses récompenses au Québec et au Canada anglais, Gabrielle Roy : une vie.

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Gabrielle Roy avec des enfants de Saint-Henri, Montréal, en 1945.

Gabrielle Roy voit le jour à Saint-Boniface (Manitoba) en 1909. Elle est la cadette d'une famille de huit enfants. Les Roy connaissent des jours sombres lorsque le père, Léon, perd son poste au ministère fédéral de l'Immigration six mois avant d'avoir droit à une pension, suite à un changement de régime à Ottawa. La pauvreté est un thème qui revient constamment dans son oeuvre.

Gabrielle Roy termine ses études au Manitoba en pleine crise de 1929, ce qui ne l'empêche pas de décrocher un poste d'institutrice. Sa famille est, faut-il s'en étonner, se-couée lorsqu'elle lui annonce, en 1937, qu'elle fait une croix sur la sécurité pour aller étudier l'art dramatique en France et en Angleterre. C'est durant son séjour en Europe -- elle fait paraître de courts articles dans un journal français -- que son avenir d'écrivain commence à s'esquisser.

En 1939, les bruits de bottes totalitaires l'amènent à devancer son retour au Canada. Elle est alors déterminée à embrasser le métier d'écrivain, au grand désespoir de sa mère. Elle s'installe à Montréal et gagne sa vie comme journaliste pigiste. Elle entame la rédaction du roman qui l'intronisera au panthéon littéraire : Bonheur d'occasion. Le roman est acclamé non seulement au Canada (comme en témoigne le prix du gouverneur général décerné à sa traduction anglaise, The Tin Flute), mais également en France et aux États-Unis, oF9 il remporte respectivement le Prix Fémina et le Literary Guild of America Award. En 35 ans de carrière, Gabrielle Roy nous a légué une oeuvre riche qui en a fait un des auteurs canadiens les plus renommés de l'après-guerre.

La publication de la biographie, en 1996, ne signifie pas que François Ricard a tourné la page sur la grande écrivaine franco-manitobaine. Il codirige (avec sa collègue Jane Everett) le Groupe de recherche sur Gabrielle Roy, qui a été prolifique dans ses activités de recension, de préparation et d'édition de ses écrits. La vaste collection de documents personnels qu'elle nous a laissée, qui comprend de nombreux inédits, est conservée à la Bibliothèque nationale du Canada, à Ottawa. Ces documents jettent un éclairage nouveau sur le génie créateur de l'auteur de classiques tels que Bonheur d'occasion, Rue Deschambault et Alexandre Chenevert.

« Elle est considérée comme une figure de proue des lettres québécoises et canadiennes. C0 la lecture de ses archives, nous apprenons beaucoup sur sa façon de travailler, sur ses inquiétudes, ainsi que sur les corrections qu'elle apportait jusqu'à ce qu'elle juge la version définitive. C'est comme si on était dans la tête de Gabrielle Roy », de dire le chercheur.

Professeur François Ricard
Owen Egan

M. Ricard explique que les récits de Gabrielle Roy ont touché un vaste lectorat, des francophones comme des anglophones, des gens ordinaires comme des universitaires. C'est ce qui explique pourquoi Nathalie Cooke, professeur de littérature anglaise, fait également partie du groupe.

« Ce qui m'intéresse, c'est de savoir pourquoi Gabrielle Roy en est venue à occuper une place prédominante dans l'univers littéraire canadien-anglais, contrairement à d'autres écrivains d'expression française. Pourquoi son oeuvre est-elle encore si irrésistible? », précise le professeur Cooke.

Elle poursuit en disant que Bonheur d'occasion est le premier roman canadien qui décrit la misère urbaine. « Par le réalisme, le narrateur jette un regard empreint de sympathie sur le sujet ».

Le Groupe de recherche sur Gabrielle Roy est composé de 15 étudiants, des professeurs mentionnés ci-dessus ainsi que de Sophie Marcotte, qui a suivi les cours de Ricard avant d'accepter un poste à l'Université Concordia de Montréal. D'autres collaborateurs pourraient grossir ses rangs. En plus de publier des études, le Groupe de recherche a fait paraître de nombreuses collections des inédits de l'écrivaine.

Plus de 20 ans après la mort de Gabrielle Roy, ses livres continuent de connaître du succès en librairie. Mon cher grand fou, une collection de lettres qu'elle a échangées avec son mari, Marcel Carbotte, s'est vendu à 5 000 exemplaires. Il fallait encore plus d'audace pour mettre sous presse Le temps qui m'a manqué, qui est la suite de La détresse et l'enchantement. Dans cet ouvrage, l'écrivaine relate son existence jusqu'en 1939.

« Évidemment, elle avait l'intention d'aborder sa vie entière, mais la maladie en a voulu autrement. Elle a publié deux volets dans La détresse et l'enchantement, et n'a terminé qu'une soixantaine de pages du troisième volet », ajoute le professeur Ricard.

Gabrielle Roy biography cover

Les documents conservés à la Bibliothèque nationale ont permis aux chercheurs de réévaluer l'héritage de Gabrielle Roy sous un nouvel angle. Par exemple, elle a traditionnellement été qualifiée de non-féministe, voire d'anti-féministe. Cependant, François Ricard estime que deux romans inédits donnent un autre son de cloche.

« Une autre Gabrielle Roy émerge de ces écrits. On découvre une femme qui avait à coeur la condition féminine. C'est une dimension de son oeuvre et de sa pensée qui a été occultée avant que nous découvrions ces romans », dit-il.

Bien qu'elle ait fait ses études en anglais, elle a opté pour la langue de Molière pour exprimer ses talents d'écrivain. Aucun de ses contemporains n'a chevauché les univers des « deux solitudes » comme elle a su le faire dans ses écrits. Et si, incontestablement, elle détestait les feux de la rampe, les liens qu'elle a tissés dans les milieux littéraires ont produit de véritables trésors pour les historiens.

« Sa correspondance nous apprend qu'elle était très au fait de l'actualité littéraire et, par conséquent, peut nous nous faire découvrir tout un pan de l'histoire de la littérature québécoise et canadienne. Elle avait un tel rayonnement qu'elle a échangé des lettres avec presque tous les écrivains du Québec et du Canada qui ont marqué son époque. »

La Groupe de recherche organise également des séminaires sur l'oeuvre de Gabrielle Roy. Le séminaire Gabrielle Roy réécrite portait sur l'autoréécriture et la traduction de son oeuvre. Un autre séminaire a été consacré à son impact sur les écrivains montréalais. François Ricard raconte que bon nombre des invités ont reconnu que Gabrielle Roy continuait d'avoir une profonde influence sur leurs écrits, ainsi que sur la littérature canadienne en général. Cela confirme qu'elle est dans une classe à part.

« En général, un écrivain séjourne au « purgatoire » après son décès. Une vingtaine d'années plus tard, il est redécouvert ou sombre dans l'oubli. Gabrielle Roy fait exception à la règle ».

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