Les hauts et les bas du témoin expert

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Lorsqu'ils recherchent des experts de premier ordre pouvant témoigner dans des procès importants, les avocats appellent souvent à la barre des professeurs de McGill. Que ce soit en faveur de la partie plaignante ou de la partie défenderesse, leur participation peut peser lourd dans la balance et même aider la justice à trouver le juste équilibre.

Selon Margaret Somerville, éthicienne, professeure au Centre de médecine, d'éthique et de droit de l'Université McGill et titulaire de la chaire Gale en droit à McGill, le témoignage des experts peut mettre en perspective les questions portées devant les tribunaux. Après tout, les batailles judiciaires se déplacent souvent à l'extérieur du palais de justice. Les décisions rendues par les juges à l'égard de sujets épineux peuvent même faire jurisprudence et ainsi modifier les règles générales du droit.

« Même en tant que juriste, on vit des moments éprouvants lorsque l'on se retrouve sur la sellette »

MARGARET SOMERVILLE

« Le tribunal est l'Acropole du XXIe siècle, l'agora où sont prises les décisions qui sont à l'origine des règles fondamentales de la vie en société » , a-t-elle expliqué.

Elle estime que les universitaires ont beau jeu de rédiger des articles et de s'égosiller en restant sur la touche, mais qu'il est de leur devoir, à l'occasion, de mettre leur expertise au service de la justice.

« Il est important que tout le monde se fasse entendre afin que les tribunaux puissent connaître l'avis d'un large éventail d'experts » , a-t-elle souligné.

Maggie Bruck, professeure de psychologie et une des plus grandes spécialistes en matière de témoignage des enfants en Amérique du Nord, abonde dans le même sens. « Il est capital que les scientifiques apportent une contribution à la société » , a indiqué Mme Bruck. Le témoignage d'expert peut même faire avancer la recherche.

« Certains procès ont donné un élan à mes travaux de recherche appliquée, car les litiges soumis à la justice soulèvent toutes sortes de questions qui demeurent sans réponse. »

En revanche, l'appel du devoir a son prix : le temps. En effet, les experts doivent se présenter au tribunal et consacrer de longues heures à la rédaction des rapports. Mme Somerville, qui est également diplômée en médecine, a témoigné dans deux procès controversés, précisant que sa participation aux litiges a rarement été une partie de plaisir. Lors du procès instruit à Toronto visant à déterminer si, d'un point de vue éthique, la Croix-Rouge était tenue de dédommager les victimes dans le scandale du sang contaminé, 10 avocats l'ont contre-interrogée sur ses antécédents professionnels pendant toute une journée avant qu'elle puisse donner son avis. « Mon CV compte plus de 100 pages. Ils l'ont épluché, ligne par ligne, ce qui me paraît un peu ridicule. C'est comme si on m'avait passée à la moulinette » , a-t-elle raconté.

Évidemment, il ne sert à rien de s'entre-déchirer sur la définition de l'éthicien. Elle reconnaît que cette spécialité touche à des sujets très controversés et n'est pas coulée dans le béton et qu'elle a dû livrer bataille pour établir sa crédibilité. « Même en tant que juriste, on vit des moments éprouvants lorsque l'on se retrouve sur la sellette. »

Morton Weinfeld, professeur de sociologie et spécialiste de l'antisémitisme et des relations interethniques, partage son avis. La participation à un procès en tant qu'expert vous oblige à vous dépasser au plan intellectuel et vous épuise littéralement. « C'est comme si on devait défendre une thèse de doctorat devant des personnes qui vous détestent » , a-t-il fait remarquer.

« On nage en pleine euphorie lorsque l'on constate que l'on a permis au tribunal de faire toute la lumière sur une question »

WILLIAM ROWE

Yves-Marie Morissette, professeur de droit, croit quant à lui que la vérification des références professionnelles est essentielle au bon déroulement du processus judiciaire. « Comme les témoins experts ont souvent une influence déterminante sur l'issue du procès, il importe qu'ils soient en mesure de défendre leur point de vue » , a-t-il ajouté. Lorsque l'on doit trancher des questions subjectives (p. ex. l'éthique ou la définition du racisme), M. Morissette estime que les plaideurs doivent déterminer comment les experts en sont venus à porter un tel jugement. « L'avocat se doit de demander à l'expert d'expliquer de quel droit il peut tenir de tels propos avant que l'on puisse ajouter foi à son témoignage. »

Par ailleurs, il est important de vérifier la validité du témoignage de l'expert pour ne pas donner prise au cynisme du public. M. Morissette a expliqué que dans la plupart des procès, chaque partie interroge ses experts, et les avis se contredisent. En décortiquant le témoignage de l'expert, il est plus facile de déter-miner quel côté de la médaille est le plus plausible. Selon lui, cela s'avère important car les tribunaux touchent rarement au fond de la question de manière à trancher le litige de façon concluante. « La plupart du temps, le juge ou le jury rend une décision partagée. »

Compte tenu des difficultés qu'un procès peut occasionner, Maggie Bruck passe tous les faits en revue avant d'accepter de témoigner ou de produire un rapport. « Je participe uniquement si j'estime qu'il y a eu erreur judiciaire » , a-t-elle mentionné, ajoutant que les 30 affaires où elle est intervenue étaient des appels. Elle juge également crucial d'analyser avec soin le bien-fondé des affaires, comme elle est appelée à se pencher sur tout ce qui peut impliquer des enfants, qu'il s'agisse d'agressions sexuelles ou de la participation à des rites sataniques. Elle doit tâter le terrain avant de s'engager, car ces affaires sont épuisantes au plan émotionnel.

En fait, son premier procès a mis ses états d'âme et sa santé physique à rude épreuve. « J'étais déprimée et malade. Je m'étais bien juré qu'on ne m'y reprendrait plus jamais » , a confié Mme Bruck. Alors pourquoi a-t-elle repris du service? « Parce qu'il faut bien que quelqu'un s'en charge » , a confié la spécialiste en riant. Non seulement on ne dénombre que 20 experts aptes à témoigner dans son domaine en Amérique du Nord, mais la plupart refusent généralement d'intervenir dans de tels procès. « C'est une sale besogne. »

Elle est parfois appelée à se prononcer sur des questions générales, propres à sa spécialité, ce qui lui évite de revoir tous les faits. « Mon témoignage a encore plus de poids puisque je suis beaucoup plus impartiale » .

Cependant, l'impartialité n'est pas essentielle. C'est l'indignation qui a poussé Morton Weinfeld à témoigner devant le tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique, qui devait déterminer si Doug Collins, un journaliste vancouvérois, avait bel et bien tenu des propos antisémites dans sa chronique. « Dans cette affaire, mes convictions personnelles et mon expertise ont été mises à contribution, sans compter que l'antisémitisme du journaliste sautait aux yeux » , a-t-il déclaré.

William Rowe, directeur de l'École de travail social et expert en matière d'agressions sexuelles, a témoigné et produit des rapports pour la partie demanderesse et la partie plaignante dans 20 procès, notamment l'affaire de l'orphelinat Mount Cashel, de Terre-Neuve. Si le rôle d'expert ne lui sourit guère, c'est également la perspective de redresser un tort qui l'incite à émettre un avis en faveur d'un demandeur ou d'un plaignant.

« C'est comme si on devait défendre une thèse de doctorat devant des gens qui vous détestent. »

MORTON WEINFELD

Récemment, il a témoigné dans une autre affaire d'agressions sexuelles commises à l'endroit d'enfants de Terre-Neuve. Une compagnie d'assurance soutenait qu'elle n'était pas tenue de verser d'indemnités à l'égard des agressions perpétrées par des prêtres dans les années 50 et 60, alléguant que la responsabilité incombait plutôt au clergé, comme ce dernier était au fait de l'homosexualité de nombre de ses membres.

« J'étais heureux d'aller au tribunal pour réfuter cette prétention » , a admis Rowe. « Un jugement favorable pouvait créer un précédent extrêmement lourd de conséquences. De plus, des études ont démontré que de telles allégations ne tiennent pas. »

Il a cependant précisé que la médiatisation à outrance de ces affaires peut donner du fil à retordre aux experts. « Le pire, c'est de savoir que les médias sont constamment aux aguets. »

Comme les procès sont éreintants, Mme Bruck s'accorde toujours quelques mois de congé avant de comparaître comme témoin. Cependant, les événements prennent parfois une tournure inattendue. Elle a déjà accepté de participer à un procès pour ensuite apprendre qu'il ne serait pas instruit avant plusieurs années.

Il lui arrive également d'opposer un refus catégorique aux demandes qui lui sont présentées. À cet égard, elle ne mâche pas ses mots : « Je ne travaille jamais pour les riches. Les nantis peuvent s'offrir de bons avocats et connaissent les rouages du système, ce qui n'est pas le cas des démunis et des gens de la classe moyenne. Ces derniers n'auraient sans doute pas à interjeter appel s'ils avaient été bien représentés. »

Mme Somerville affectionne elle aussi les luttes inégales, lorsque David, poussé jusque dans ses derniers retranchements, traduit Goliath en justice.

Aux dires de Mme Bruck, s'il importe de choisir ses causes avec soin, c'est aussi parce qu'elles risquent d'être longues et ennuyantes. « Durant certaines audiences, je me serais jetée par la fenêtre. » Le professeur Rowe ajoute que, en pareil cas, il est essentiel de demeurer vigilant. « Il ne faut pas trop en dire, ni dérailler, ni entrouvrir la porte à la partie adverse. »

Mme Somerville soutient que c'est parfois à l'extérieur de la salle d'audience que la situation se corse. Le printemps dernier, après avoir témoigné dans un procès d'euthanasie, elle a été snobée par un confrère sympathique à la partie adverse. « Ça m'a réellement blessée. J'ai alors compris que lorsqu'on accepte de témoigner en qualité d'expert, il faut parfois en payer le prix au plan personnel. »

Par ailleurs, elle prétend que les témoins experts, les médecins par exemple, sont confrontés à des embûches dans leur vie professionnelle si leur avis est taillé en pièces dans un rapport présenté en cour. « Leur réputation peut en souffrir. »

D'après M. Rowe, les universitaires peuvent avoir du mal à livrer un témoignage convaincant et crédible lorsque le procès met les nerfs à vif, même s'ils ont l'habitude des critiques et des remises en question.

« Par contre, on nage en pleine euphorie lorsque l'on constate que l'on a permis au tribunal de faire toute la lumière sur une question » , a-t-il déclaré.

Et si l'accusé se retrouve sous les verrous par suite de son témoignage, M. Rowe n'en perd pas le sommeil pour autant. « En définitive, ce sont le juge et le jury qui rendent la décision. »

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