Le système de santé américain: le remède au mal canadien?

Le système de santé américain: le remède au mal canadien? McGill University

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Au début des années 1990, les Américains envisageaient de s'inspirer du modèle canadien pour réformer leur système de santé. Dix ans plus tard, nombre de nos compatriotes croient que l'universalité des soins de santé est mal en point et que la privatisation constitue le meilleur remède. Comment les deux voisins en sont-ils venus à prendre des chemins aussi différents et quel système est le plus salutaire?

Antonia Maioni, qui donne le cours Political Process and Behaviour, débute toujours la session par la question suivante : en quoi le Canada se distingue-t-il des États-Unis?

Pour la plupart des étudiants, la spécificité canadienne se résume à l'universalité des soins de santé.

« Cela confirme deux choses : d'une part, les Canadiens sont profondément attachés à leur système de santé car il est efficace; d'autre part, ils craignent pour sa survie » , a indiqué Mme Maioni, auteure de l'ouvrage Parting at the Crossroads: The Emergence of Health Insurance in the United States and Canada.

L'enquête réalisée par Robert Blendon, de la Harvard School of Public Health, a fait écho à leur appréhension. En 1988, 5 % des Canadiens interrogés estimaient que leur système de santé avait des ratés. En 1998, ils étaient 23 % à partager cet avis. Aux États-Unis, le taux d'insatisfaction à l'égard du système de santé est plus élevé; en revanche, il n'a augmenté que de quatre points durant la même période, passant de 29 % à 33 %.

PHOTO: MICHAEL QUAN

Au Canada, les récentes compressions budgétaires ont soumis à rude épreuve le système de santé. Au sud de la frontière, la grogne est généralisée au terme de la prolifération des Health Maintenance Organizations (HMO), des organisations de soins de santé intégrés qui font des économies de bouts de chandelle. Résultat? La population des deux pays lorgne le système du voisin dans l'espoir de trouver des solutions.

Notre système de santé a été au cúur de bien des débats aux États-Unis, durant les élections de 1992. Les défenseurs de l'universalité des soins en vantaient alors l'efficacité. « À l'heure actuelle, le modèle canadien a beaucoup moins la cote, entre autres parce que les détracteurs de la réforme de la santé ont mis en relief ses failles; par exemple, on a dit que les Canadiens devaient composer avec une longue période d'attente pour subir une intervention chirurgicale pourtant essentielle » , de dire Mme Maioni.

La politologue ajoute que, par les temps qui courent, ce sont plutôt les Canadiens qui s'inspirent de plus en plus du modèle américain pour réformer leur système de santé.

« Ce qui a le plus changé dans le débat sur la santé au Canada au cours des 10 dernières années, c'est que les innovations américaines reviennent plus souvent sur le tapis. Mentionnons notamment les soins gérés et les incitatifs commerciaux. D'un point de vue politique, toute tentative de modification de notre système de santé continue d'être accueillie par une levée de boucliers; cependant, on discute beaucoup plus des problèmes et des solutions de rechange » , de poursuivre Mme Maioni.

Cette dernière a toutefois fait remarquer que, si l'universalité des soins de santé est devenue en quelque sorte un symbole national au Canada, ce sont les États-Unis qui en ont d'abord eu l'idée, plus précisément dans les années 1930 et 1940. Le projet de création d'un régime national d'assurance-maladie, piloté par le président Truman, a été rejeté à deux reprises.

« C'est une vérité historique que nous avons tendance à oublier. Ce n'est pas parce que le Congrès a refusé d'entériner le projet de loi que l'assurance-maladie était absente de l'arène politique » , a expliqué la professeure de McGill.

Même les régimes d'assurance-maladie destinés aux Américains âgés et handicapés (Medicare) et à leurs concitoyens nécessiteux (Medicaid) ont rencontré de la résistance lors de leur création dans les années 1960. En définitive, on a déterminé que l'assurance-maladie serait l'apanage du marché libre.

« C'est bien d'avoir une bonne idée, mais c'est encore mieux de la concrétiser » , a souligné Mme Maioni. Au Canada, c'est le CCF, le prédécesseur du Nouveau Parti Démocratique, qui a ouvert la voie en dotant la Saskatchewan d'un régime d'assurance-hospitalisation en 1947 et d'un régime d'assurance-maladie en 1962. Les autres provinces lui ont emboîté le pas, et le gouvernement fédéral a accepté de partager les coûts de l'assurance-hospitalisation en 1957. Neuf ans plus tard, une entente de partage des coûts de l'assurance-maladie était conclue avec les provinces.

En vertu de ces ententes de partage des coûts, certains critères devaient être respectés : tous les Canadiens devaient avoir accès gratuitement à tous les services; les gens demeuraient couverts même lorsqu'ils se rendaient dans une autre province; le régime devait être financé par l'État. Enfin, en adoptant la Loi canadienne sur la santé en 1984, le gouvernement fédéral a proscrit la surfacturation et le ticket modérateur.

Selon Mme Maioni, bien qu'ils se ressemblent à bien des égards, le Canada et les États-Unis ont divergé sur la question de l'assurance-maladie du fait qu'ils n'ont pas le même système politique. En effet, le multipartisme parlementaire laisse plus de place à la gauche pour exprimer sa dissidence. En revanche, le bipartisme oblige les politiciens américains à faire davantage de compromis afin d'éviter l'éclatement des grandes coalitions républicaines et démocrates.

Les médecins et les compagnies d'assurance ont eu beau jeu pour faire pression sur les élus afin de faire obstacle à l'universalité des soins. Ainsi, 44 millions d'Américains n'ont pas d'assurance-maladie. Il n'en demeure pas moins que les dépenses en matière de santé représentent 14 % du produit intérieur brut des États-Unis, comparativement à 9 % au Canada.

« La prolifération des soins gérés a élargi le fossé qui sépare les deux systèmes de santé » , a ajouté Mme Maioni. L'essor des HMO à but lucratif a fait ressortir les inquiétudes du public américain concernant l'accès à des services de qualité. Au Canada, ce sont les compressions budgétaires et leurs conséquences (la désassurance de certains services et les listes d'attente) qui suscitent de l'appréhension.

La tournure des événements a amené la population et les politiciens des deux pays à réfléchir à l'avenir du régime d'assurance-maladie. Pour les candidats à l'investiture du Parti démocrate en vue de l'élection présidentielle de 2000, la question est incontournable : le vice-président, Al Gore, ainsi que l'ex-sénateur Bill Bradley, ont promis que tous les enfants du pays auront accès à des soins à prix abordable.

Au Canada, l'idée d'un système de santé à deux vitesses fait son chemin.

Le gouvernement albertain et son homologue fédéral ont récemment croisé le fer sur la question des cliniques privées. Ottawa a menacé de « fermer le robinet » si la province va de l'avant avec son projet.

« Les États-Unis seraient étonnés de voir que les preuves ne manquent pas : le système public à payeur unique se traduit par des économies. Les frais généraux sont réduits de façon spectaculaire, et les administrations publiques peuvent établir les budgets des hôpitaux et négocier les honoraires des médecins » , a expliqué Mme Maioni.

Cette dernière met le Canada en garde contre certaines « importations américaines » . « La santé n'est pas un marché comme les autres. Si on ne le réglemente pas, on ne peut pas obtenir des résultats optimaux, que ce soit au plan de la santé ou de l'efficience économique. Aux États-Unis, les personnes sans assurance risquent non seulement d'être malades, mais peuvent également devenir le grain de sable dans l'engrenage économique » , a-t-elle fait remarquer.

L'auteure précise que l'intervention de l'État dans le secteur de la santé, comme au Canada, devient souvent un tremplin politique. « Cela n'est pas forcément mauvais, car cela signifie que l'affectation des ressources fait l'objet d'un débat public » .

« Dans mon livre, je dis entre autres que ce n'est pas parce que nous avons pris des directions opposées en matière de santé que nous ne pouvons pas virer de bord » , de conclure Mme Maioni. S'il n'empêchera pas le Canada et les États-Unis de reluquer le modèle du voisin, son ouvrage alimentera « assurément » la discussion des deux côtés de la frontière.

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