La médecine dentaire sur la route

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La médecine dentaire sur la route

Mercredi, 18 h. Une tempête de neige s'est abattue sur Montréal. L'entrée du centre Le bon Dieu dans la rue est bondée. Si les jeunes sans-abri sont si nombreux ce soir, ce n'est pas pour fuir la poudrerie, mais plut't pour se rendre à la clinique dentaire mobile, qui visite ce centre de l'est de la ville chaque trimestre.

Photo Le père Emmett Johns (« Pops » pour les intimes) de l'organisme Dans la rue.

Une belle brochette de bénévoles -- des dentistes, des étudiants, des hygiénistes dentaires, des techniciens ambulanciers, des commis, des techniciens et des coordonnateurs -- s'affairent à transformer la cafétéria en centre de soins dentaires gratuits, une des trois cliniques mobiles mises sur pied dans le cadre du programme d'action communautaire de la faculté de médecine dentaire de McGill.

On jurerait un décor de cinéma : des boîtes de pizza empilées, une multitude de fils électriques qui jonchent le sol, le feu des projecteurs, le ronronnement des génératrices et les techniciens qui mettent en place les accessoires (les cinq unités mobiles de soins dentaires).

Dans la salle d'attente, la scène qui s'offre au regard du visiteur est tout autre. À tour de rôle, les jeunes viennent s'inscrire à l'accueil où des bénévoles, des élèves de la Western Laval High School, sortent leur dossier ou en créent un nouveau. Ils ont le même âge que bon nombre des patients, mais portent des vêtements très différents.

Photo PHOTO: Owen Egan

Les jeunes qui utilisent les services de Dans la rue, tout particulièrement les garçons, ont un gros penchant pour le métal : sur leurs vêtements, les lèvres, le nez, les sourcils et la langue. Certains étonnent par l'extravagance de leur tenue vestimentaire de style squeegee, néo-hippie ou métallique. D'autres ont une allure plus classique qui ne correspond pas du tout à l'image qu'on se fait des jeunes sans-abri.

« Nous pouvons prodiguer des soins à 25 jeunes, et 24 se sont déjà inscrits », mentionne Sabrina Parisien, employée de l'organisme Dans la rue, qui est chargée d'orchestrer les opérations. « Voyons combien de fusibles nous pouvons faire sauter ce soir », dit-elle, arborant un sourire empreint d'ironie.

Jusqu'à maintenant, les patients se montrent patients. Ce sont les élèves bénévoles qui sont un peu tendus; il faut dire que le nombre de nouveaux patients est plus élevé que d'habitude, ce qui suppose beaucoup de paperasserie. Randi Waks, assistante dentaire du programme, ne sait plus où donner de la tête. Il lui appartient également d'obtenir de la nourriture auprès de commanditaires et de préparer les fournitures, notamment de stériliser les instruments que requièrent les dentistes, avec l'aide des étudiants en médecine dentaire. L'autoclave ou stérilisateur fonctionne sans arrêt dans la cuisine.

Photo Dr Michael Wiseman supervise le travail d'un étudiant en médecine dentaire.
PHOTO: Owen Egan

Paul Allison, PhD'98, professeur et directeur de la division de santé dentaire publique de la Faculté de médecine dentaire, conduit les patients qui en sont à leur première consultation auprès des bénévoles chargés de prendre en note les antécédents médicaux, des techniciens ambulanciers de la Ville de Côte Saint-Luc. Selon le Dr Julia Pompura, DDS'89, il est toujours important de recueillir de tels renseignements. Cependant, la spécialiste de la chirurgie buccale estime que cela s'avère particulièrement crucial avec des toxicomanes. En effet, l'interaction de la lydocaïne, un anesthésique employé couramment par les dentistes, et d'un stupéfiant tel que l'héroïne ou la cocaïne peut entraîner une insuffisance cardiaque ou la mort subite.

Si ce n'est que l'usage de drogues est relativement très répandu dans leurs rangs, ces jeunes ne sont guère différents du patient type des cabinets de dentiste. Les « précautions universelles » prises afin de prémunir le dentiste et le patient contre les infections transmissibles par le sang (p. ex. le VIH) sont les mêmes que dans n'importe quel cabinet.

Photo PHOTO: Owen Egan

Quant au phénomène du « piercing », il n'est pas propre aux jeunes de Dans la rue. « Je vois tous les genres de piercing à mon cabinet », fait remarquer le Dr Pompura, une des huit dentistes bénévoles, qui enseigne également à la Faculté. Le fait que les jeunes aient le visage percé d'un anneau à divers endroits ne gêne pas les dentistes de la clinique mobile.

En revanche, dès qu'il est question du « barbell », la tige qui traverse la langue, c'est une autre histoire. « Nous leur disons à tous que ça peut abîmer les dents et enlever une partie de l'émail ». Invité à expliquer pourquoi il arborait un tel bijou, François, un des patients, sourit avec une fausse timidité et répond : « C'est pour ma blonde ».

À 18 h 40, le directeur donne le feu vert. Les unités dentaires sont opérationnelles, et le premier patient se dirige vers Michael Wiseman, DDS'85, professeur de médecine dentaire et directeur du programme d'action communautaire, qu'il a créé il y a trois ans. Avec ses allures de « gros nounours » et ses bottes délacées, il est le candidat parfait pour le jeune qui a une peur bleue du dentiste. « Pour minimiser le stress, on explique ce qu'on va faire et on s'exécute », observe-t-il, ajoutant que l'aire ouverte n'est pas le fruit du hasard.

« L'aire ouverte permet de mettre en relief le bienfait de l'intervention. Les patients sont rassurés de voir un ami recevoir des soins. »

Jeunesse au soleil, un important centre communautaire sans but lucratif qui occupe l'ancienne Baron Byng High School, située rue Saint-Urbain, bénéfice également des services de clinique mobile du programme. Le Dr Wiseman explique que des cloisons sont aménagées dans la salle de bingo du centre, alors qu'aux Services d'aide à la famille juive, les bureaux des travailleurs sociaux sont convertis en unités de soins dentaires. Cela permet de respecter l'intimité des patients, généralement des néo-Canadiens qui ne vont pas chez le dentiste, faute de ressources financières ou d'assurance.

Le Dr Wiseman a eu l'idée de la clinique mobile il y a trois ans, après l'échec du centre de consultations dentaires gratuites qu'il avait mis sur pied à l'Hôpital St. Mary's. « Cette clinique était mal située dans l'optique de la clientèle cible; de plus, les hôpitaux rebutent les gens. Il fallait qu'on aille dans la communauté. »

Qu'est-ce qui le motive à travailler bénévolement comme dentiste et à recueillir des dons en argent et des dons de fournitures dentaires au profit des démunis? Il estime que le sort l'a favorisé et tient à partager avec ceux qui ont eu moins de chance.

« J'ai trois enfants, et toute la famille est en bonne santé. Je suis assez à l'aise pour donner de mon temps en retour de ce que j'ai reçu », confie Wiseman, qui a également mis en oeuvre des programmes similaires dans des écoles des quartiers Pointe Saint-Charles et Saint-Henri. En collaboration avec le centre local de services communautaires, ses étudiants et lui visitent les écoles pour appliquer un « scellant » sur les dents des enfants.

« Les enfants de ces quartiers ont un taux de carie de 70 %, comparativement à un taux se situant entre 10 % et 30 % dans les localités aisées du West Island », de préciser le dentiste.

Son dévouement semble être contagieux. Par exemple, le professeur Philippe Mojon, un Français d'origine en poste depuis relativement peu de temps à la Faculté de médecine dentaire, a répondu à l'appel de Wiseman et a joint l'équipe de dentistes bénévoles. « Michael a un certain charisme; il nous donne le goût de l'aider. »

« D'ailleurs, le simple fait de soulager la douleur des gens est gratifiant », de poursuivre M. Mojon, qui a passé une bonne partie de la soirée auprès d'une jeune femme effrayée afin de lui obturer une grosse carie.

Pour le Dr Tony Iannella, BSc'83, DDS'88, un des premiers dentistes recrutés par Wiseman, il est « enrichissant de discuter avec les jeunes et de savoir ce qu'ils pensent. Nous avions peur de l'accueil qu'ils allaient nous réserver, mais le nombre de patients a triplé. » Il juge également important d'être en contact avec les gens de Dans la rue. « Si les dentistes sortaient de leur cabinet et venaient ici, ils verraient le vrai visage de la réalité. »

« Je déteste les dentistes », dit un patient. « Sauf moi », d'ajouter Wiseman sur un ton railleur, pendant que le Dr Edward Slapcoff, BSc'54, DDS'56, inscrit dans le dossier du patient les soins qu'il requiert.

« La clinique mobile n'est pas l'endroit idéal pour les extractions, car en cas de complications, on est dans le pétrin », souligne ce vieux routier de la chirurgie buccale. Les patients qui doivent subir une radiographie ou qui nécessitent des soins plus complexes sont dirigés vers le centre de formation de la Faculté, la Clinique McCall de l'Hôpital général de Montréal, qui dispose de tout l'équipement nécessaire.

Une personne de la trempe de M. Slapcoff pourrait considérer cette tâche administrative comme une insulte, mais ce dernier prend manifestement plaisir à remplir les dossiers des patients. « Je crois que l'on doit se soucier davantage des jeunes qui fréquentent ce centre. »

Lorsque l'on s'entretient avec les bénévoles de ce groupe hétéroclite, on est frappé de voir à quel point l'esprit d'équipe est un leitmotiv. Par exemple, le doyen de la Faculté de médecine dentaire, James Lund, s'est employé à couper les pizzas et à prendre des notes.

« C'est un effort collectif », soutient le Dr Allison. « Personne n'est ici pour la gloire. Comme je le dis tou-jours aux dentistes, si vous ne voulez pas nous aider, faites un don. » L'appel a été entendu. L'an dernier, Debbie Larocque, agente de sollicitation à la Faculté, a organisé un dîner-bénéfice à l'Hôtel Ritz Carlton qui a rapporté 65 000 $.

Compte tenu de l'importance du bénévolat et des dons de fournitures et d'équipement, le programme d'action communautaire dispose d'un budget modeste. Toutefois, le Dr Wiseman et la Faculté nourrissent des desseins plus ambitieux; ils désirent amasser des fonds pour acheter et doter du matériel nécessaire un Winnebago, semblable au célèbre véhicule du fondateur de Dans la rue, le père Emmett Johns, alias « Pops ».

Si Pops apporte chaleur et réconfort aux jeunes sans-abri et leur donne de la nourriture et de l'information, le Dr Wiseman a en tête un cabinet de dentiste roulant doté de deux appareils de radiographie. « Après s'être régalés avec le chocolat chaud et les hot dogs du père Johns, les jeunes viendraient nous voir. »

Le fait que, l'an dernier, l'Association dentaire canadienne a décerné au programme la Distinction pour la promotion de la santé bucco-dentaire ne nuira pas à la campagne de financement. « C'est la première fois que ce prix est attribué à un organisme qui tente d'atténuer l'inégalité de l'accès aux soins tout en faisant la promotion de la qualité des services », affirme le Dr Wiseman.

En dernière analyse, le Dr Wiseman et ses collègues savent bien que la création d'équipes de dentistes bénévoles, chargées de prodiguer des soins gratuits aux personnes qui se glissent à travers les mailles du filet, ne règle pas vraiment le problème, soit le refus de l'État de considérer la santé dentaire comme faisant partie intégrante de la santé publique. Cinquante pour cent des Québécois ne consultent pas de dentiste. Une fois que les difficultés auront été aplanies, la Faculté entend s'inspirer de son expérience unique et proposer au gouvernement québécois un projet pilote qui permettrait d'assurer des soins dentaires peu coûteux et accessibles. Québec lui prêtera vraisemblablement une oreille attentive, car non seulement les personnes nécessiteuses, mais également les personnes qui ont de la difficulté à se déplacer, par exemple les personnes handicapées et les personnes âgées (dont le nombre ne cesse de croître) ne vont pas chez le dentiste.

22 h. Fourbus, les bénévoles de la clinique mobile remballent le matériel. Le dernier patient prend son manteau et sort dans la neige et le froid pour marcher jusqu'à un centre d'hébergement de l'est de Montréal. Les bénévoles montent dans leur voiture et prennent une direction opposée pour retrouver leur famille dans la chaleur de leur foyer.

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