ALUMNI QUARTERLY
WINTER 1998

[ English synopsis ]


«La diversité des cultures et des connaissances professionnelles en fait une expérience d'enseignement particulièrement enrichissante,» lance Michelle Buck, professeure en comportement organisationnel, de la faculté de gestion.

Depuis juillet dernier, environ quarante étudiants ont entamé le programme de MBA de McGill à Tokyo. Le MBA Japon se veut le premier programme de diplôme canadien offert au pays du soleil levant, voire même le premier programme étranger offert en collaboration avec une université japonaise.

Le programme, identique à celui offert à Montréal et d'une durée de deux ans, est conçu pour permettre aux étudiants d'obtenir leur MBA, option affaires internationales, tout en travaillant à temps plein. Les cours, offerts pendant la fin de semaine, sont dispensés en anglais par des professeurs de la faculté de gestion de McGill, sur le campus de Yotsuya de l'Université de Sophia.


David Saunders

Welcome, Bienvenido, Irassai imasu

Selon Wallace B. Crowston, doyen de la faculté de gestion, le programme MBA Japon de McGill fait partie d'une vision stratégique développée de concert avec le conseil consultatif international de la faculté, présidé par Paul Desmarais jr, et cadre parfaitement avec l'orientation internationale de la faculté de gestion.

«Nous aimerions offrir le programme dans d'autres pays du monde, notamment en Europe et en Amérique Latine, où les étu-diants pourraient ainsi avoir la chance de poursuivre et compléter leurs études advenant, par exemple, un déménagement.» Mondialisation oblige!

Les 43 étudiants de cette année, dont 15 femmes, ont en moyenne 29 ans et comptent six ans d'expérience en milieu de travail. Le tiers d'entre eux sont Japonais, alors qu'on retrouve 40% de Canadiens, parmi lesquels des gens venus enseigner l'anglais et qui envisagent de revenir au pays avec un tel diplôme sous le bras. Les autres étudiants proviennent de la communauté internationale.

«En un sens, il y a certaines similitudes avec le programme enseigné à Montréal qui accueille aussi des étudiants de plusieurs nationalités. Au Japon, toutefois, les expériences de travail sont plus diverses puisqu'on retrouve des Japonais et des étrangers qui travaillent autant pour des compagnies nationales qu'internationales. Sans oublier l'environnement oriental,» souligne Michelle Buck.


Michelle Buck

Gaijin vs occidentaux ?

L'enseignante originaire de Chicago y a complété deux séjours au cours de l'été. Elle partageait l'enseignement, de même que l'appartement loué par l'université McGill pour faciliter la présence des professeurs qui doivent s'y rendre au cours de l'année, avec un collègue venu pour sa part parler de finance.

Si le contenu des cours est resté inchangé, il n'a donc pas été adapté à une nouvelle clientèle. Mme Buck constate toutefois, qu'en certaines occasions il lui a fallu tenir compte des différences culturelles, et ainsi mettre en perspective certains concepts élaborés dans les livres d'enseignement. D'autant plus qu'un cours portant sur le comportement organisationnel, comparativement à un autre sur la comptabilité ou les statistiques par exemple, fait davantage appel à des notions subjectives plutôt que mathématiques.

«Assurément certains éléments importants du cours n'ont pas la même résonance pour tous. Les Japonais, qui vivent dans une société plus collective que les occidentaux, pourraient conséquemment donc en avoir des interprétations ou même des expériences différentes. Il faut être davantage conscient de ces divergences qui, du même souffle, permettent justement de faire évoluer les idées.»

Ainsi, aux questions portant sur le travail d'équipe, la conformité aux normes, la motivation, le consensus ou encore les changements organisationnels, les réponses risquent donc de se distinguer selon le pays ou la culture d'origine. Curieusement, fait-elle observer, le choc des idées n'était pas le lot exclusif des gaijin envers les Japonais ou vice versa. Il n'était pas rare, en effet, de voir les débats opposer plutôt un Irlandais et un Brésilien, par exemple, ou encore un Américain et un Canadien.

Mais cela ne viendrait-il pas simplement confirmer la réputation des étudiants japonais d'absorber ce qu'on leur enseigne, au lieu de commenter ou de questionner? «Les étudiants japonais prennent une part aussi active aux discussions, et c'est d'ailleurs ce à quoi ils s'attendent en s'inscrivant au programme de McGill,» constate Michelle Buck.

De même, afin justement de favoriser les échanges et de profiter des diverses expériences de travail de chacun, «les étudiants japonais sont invités à réaliser leur travail d'équipe avec leurs collègues étrangers, dans la mesure du possible,» précise Wallace Crowston. La formation des équipes, pour des étudiants qui vivent aux quatre coins de l'immense agglomération urbaine, voire même à l'extérieur de la capitale nippone, est, en effet, plus souvent dictée par la proximité du domicile de chacun ou par la possibilité de se rencontrer.


Wallace Crowston

Au bon endroit... au bon moment ?

Pourquoi avoir choisi le Japon? En fait, le pays des Toyota, Sony et Mitsubishi était loin de constituer le premier choix de David Saunders, directeur du programme MBA Japon, qui avait auparavant parcouru l'Asie en mission de reconnaissance.

Mais Hong Kong, par exemple, a rapidement été rayé de la liste lorsqu'il a constaté que l'ancienne colonie britannique accueillait déjà une cinquantaine d'universités. Puis, pour diverses autres raisons, la Corée, la Malaisie et Singapour furent également écartés.

Finalement, après des rencontres avec le conseiller responsable des dossiers de l'éducation et de la culture, à l'ambassade canadienne, le Japon fut alors pris en considération : pourquoi, en effet, ne pas offrir sur place un programme de MBA aux Japonais qui sont envoyés en Amérique du Nord par leurs employeurs en vue de l'obtenir?

D'anciens diplômés de McGill, d'origine japonaise, ont rapidement mis un bémol au projet : le MBA n'est souvent qu'un prétexte pour permettre à ces employés d'aller d'abord et avant tout prendre un bain de culture organisationnelle étrangère. Un plan B fut alors adopté : miser sur la présence d'expatriés, jumelé au prestige de l'Université McGill, pour leur donner l'occasion de s'inscrire à un programme de MBA, offert en anglais. Tout en ciblant les entreprises japonaises qui n'ont pas les ressources financières pour envoyer des employés outre-mer.

Voilà, McGill pouvait se lancer à l'aventure. Et ce, en collaboration avec une prestigieuse université japonaise, fondée au début du siècle par une communauté religieuse. Pour l'instant «la collaboration se limite à l'utilisation de locaux, mais nous espérons que les professeurs des deux universités pourront profiter de cette occasion pour fraterniser et échanger,» souligne Wallace Crowston.

Or, justement, avec la crise financière et économique qui secoue présentement l'Asie, en particulier le Japon, l'implantation d'un programme d'enseignement nord-américain de MBA tomberait-il à point? Les entreprises nippones seront-elles tentées d'y envoyer leurs employés cueillir un peu du savoir-faire occidental? «Le programme pourrait en effet profiter de cette situation même si, bien sûr, il n'est pas orienté en ce sens.»

Ah oui! Les étudiants canadiens ou québécois intéressés à suivre le programme de MBA au Japon, comme deux d'entre eux l'ont déjà signifié, devraient y penser deux fois avant de s'y engager : les frais de scolarité s'élèvent annuellement à deux millions de yen. Ce qui se traduit par une facture d'environ 22 000 $. Mince consolation : les sushi et les cigarettes sont les rares produits vendus moins chers qu'à Montréal!

Pierre Théroux est journaliste à Montréal.