ALUMNI QUARTERLY
FALL 1999


 

Avant de créer la bourse d'études, de doter la chaire, de construire l'immeuble ou de mettre sur pied le centre de prestige, par exemple l'Institut d'études canadiennes de McGill, il faut d'abord recueillir des fonds. Ainsi, un représentant de McGill se charge de rencontrer la personne qui, d'après le Service de développement, est susceptible de concrétiser le projet.

Selon la tournure de la discussion, la personne qui formule la demande de fonds peut réussir à convaincre son interlocuteur de lui remettre un chèque dans les six à sept chiffres, ou encore, ternir la réputation de l'Université auprès d'une personne très influente. Inutile de dire qu'elle marche sur des oeufs.

« Il faut bien préparer le terrain avant de s'adresser au donateur éventuel » a indiqué Derek Drummond, BArch'62, vice-principal (Développement et relations avec les aciens étudiants). « On ne décide pas comme ça, du jour au lendemain, de frapper à la porte d'un bureau. On doit effectuer des recherches approfondies au préalable et cultiver une relation avec le donateur éventuel qui va bien au-delà de l'argent. »

« Nous demandons aux donateurs de faire partie des comités afin de les sensibiliser aux priorités de McGill. Nous les invitons également à participer aux activités qui se déroulent à l'Université, par exemple à assister au dernier opéra monté par la Faculté de musique. Si on se contente d'arriver chez les gens à l'improviste, la main tendue, ils vont tout simplement nous envoyer promener », d'ajouter M. Drummond.

Le Service du développement et des relations avec les anciens étudiants collabore avec un fort contingent de bénévoles, dont certains font partie des groupes de diplômés actifs dans le monde entier. En général, il s'agit d'hommes et de femmes qui gardent un excellent souvenir de leur passage à McGill et qui sont gagnés à la cause de l'enseignement supérieur. De plus, comme ils sont en contact avec des donateurs éventuels dans leur vie sociale et professionnelle, ils sont souvent en mesure de mettre McGill sur la bonne piste et de lui indiquer ce qui intéresse ces gens. «Ce genre de relations est capital pour nous », a mentionné M. Drummond.

Des agents de développement sont rattachés à chaque faculté de l'Université et travaillent en étroite collaboration avec les doyens en vue de dénicher des donateurs éventuels. M. Drummond et son équipe sont épaulés par un service de recherche qui passe en revue les rapports annuels, les coupures de presse et d'autres documents susceptibles de nous fournir des indices quant aux personnes cibles et à leurs intérêts. « Nous n'allons pas trop en profondeur, la législation canadienne sur la protection des renseignements personnels étant très sévère », a déclaré M. Drummond. « Aux États-Unis, la masse d'information que l'on peut obtenir sur une personne dépasse l'imagination, de quoi faire dresser les cheveux sur la tête à un Canadien. »

Et si plusieurs facultés lorgnent le même donateur? Supposons qu'un diplômé en droit a fait fortune dans le monde du spectacle. Pourrait-il être à la fois dans le collimateur de la faculté de droit et de la faculté des arts? M. Drummond préside un comité qui est précisément chargé de sortir de ce dilemme, le cas échéant.

« Il est important que nous ayons la situation bien en main. Nous tenons à éviter qu'un de nos doyens tombe sur un de ses homologues d'une autre faculté dans une antichambre. Nous ne voulons pas non plus que les donateurs aient l'impression d'être harcelés ». Quelle faculté est l'heureuse élue? « Celle qui est la mieux placée pour faire sauter la banque ».

Quant aux donateurs éventuels, ils s'attendent à ce qu'on se renseigne à leur sujet avant de leur demander des fonds. « Les gens qui me sollicitent doivent d'abord faire leurs devoirs », a affirmé Heather Reisman, directrice générale d'Indigo Livres et Musique. « Certaines causes me tiennent vraiment à cìur. Je suis beaucoup plus susceptible d'être réceptive si la demande de fonds se rapporte à une de ces causes. » Par exemple, Mme Reisman affectionne les projets qui mettent en relief le rôle des femmes dans les professions. Ainsi, elle a récemment doté une chaire de soins infirmiers à la University of Toronto.

Vivienne Poy, BA'62, qui a réussi dans la mode et les cosmétiques à la tête de Vivienne Poy Enterprises et qui vient d'être nommée sénatrice, reconnaît que les collecteurs de fonds devraient se donner la peine de mieux la connaître. « Par exemple, j'apporte généralement une contribution aux humanités parce que ces disciplines bénéficient rarement du même soutien que la médecine et le génie. »

Aux dires de M. Drummond, la personne qui aborde le donateur joue un rôle capital. « Ce n'est pas tant à l'institution qu'à la personne qui les sollicite que les gens font des dons. Par extension, des donateurs restent sourds aux demandes de certaines personnes. On doit donc les choisir avec soin. En règle générale, ils ne donnent rien aux agents de développement. En fait, nous sommes des timoniers; nous sommes là pour tenir le cap. »

« La demande de fonds a énormément de poids si elle est formulée par une personne réputée pour sa grande générosité », a soutenu Mme Reisman, « par opposition à une personne dont le seul mérite est d'occuper un poste dans une grande société. Brian Levitt [le chef de la direction d'Imasco] constitue un bon exemple. On peut difficilement trouver une personne aussi charitable. Si une personne telle que lui fait la démarche, c'est inspirant. » David Lank, spécialiste des services bancaires d'investissement, estime que les universités confient souvent cette tâche à la mauvaise personne. Il a recueilli des fonds pour un large éventail de projets, de la réfection en profondeur et de l'agrandissement du Musée McCord de Montréal (en tant que président du conseil d'administration) à l'érection de la statue de James McGill, qui est devenue indissociable du campus. « C'est classique. Une personne est susceptible de faire un don très important et tout le monde est au courant. Une personne de l'Université tient à faire les démarches auprès de ce donateur éventuel en raison du prestige qui rejaillira sur elle. Par contre, il y a un bénévole qui est intimement lié au donateur. La personne de l'Université a obtenu des fonds, mais le don aurait été beaucoup plus élevé si la demande avait été présentée par le bénévole. »

On peut faire beaucoup avec un don d'un million de dollars; par exemple, on peut créer une chaire d'enseignement. Cependant, l'Université compte davantage sur la légion de donateurs qui apportent une légère contribution chaque année. Selon Marie Giguère, BCL'75, première vice-présidente, chef des services juridiques et secrétaire de Molson Inc. et dirigeante du Fonds Alma Mater de McGill, l'existence d'un réseau bien établi de groupes de diplômés à l'échelle de l'Amérique du Nord et, de plus en plus, de la planète, facilite énormément la campagne de financement annuelle.

« Il est essentiel de faire naître un sentiment d'appartenance à une communauté chez les diplômés de McGill », a déclaré Mme Giguère. « Même à des milliers de milles de distance, ils demeurent liés à Montréal et à McGill. Il y a peu d'universités au Canada qui peuvent compter sur une telle relation. C'est une des grandes forces des universités américaines. » C'est entre autres pour cette raison que les institutions américaines surpassent nettement leurs homologues canadiennes au chapitre de la collecte de fonds.

On pourrait même dire que cette différence ne date pas d'hier. L'automne dernier, Lucien Bouchard, premier ministre du Québec, assistait à l'inauguration de la bibliothèque de droit Nahum Gelber, qui a été financée uniquement grâce à des dons privés. Il a alors vanté la générosité des diplômés de McGill et des donateurs et dit souhaiter que les francophones apportent le même soutien à leurs alma mater.

« Le don s'inscrit davantage dans une tradition chez les Anglo-Saxons que chez les Français ou les Européens » a avancé Mme Giguère. « Les francophones s'en remettaient à l'Église ou à l'État. Les Anglo-Saxons se prenaient un peu plus en charge. Mais les temps ont changé. J'ai grandi dans une famille qui a toujours apporté son soutien à des organismes et à des programmes. »

Purdy Crawford, président d'Imasco, participe depuis des années aux activités de financement de McGill, de la Mount Allison University et d'autres institutions sans but lucratif. Il a sollicité bien des gens, mais n'aime pas se présenter seul devant un donateur. « En général, j'invite les gens à faire un don uniquement si un professeur ou un doyen, c'est-à-dire une personne associée de près au projet, est à mes côtés. Il y a des exceptions, mais je préfère procéder de cette façon. »

Before the scholarships, before the endowed chairs, before the new buildings or the high-profile centres like the McGill Institute for the study of Canada, comes the ask. Someone representing McGill sits down with an individual the Development Office has identified as the prospective donor who can make that endowed chair or scholarship happen.

"There is a lot of groundwork that goes into it before the actual ask," says Vice-Principal (Development and Alumni Relations) Derek Drummond, BArch'62. "You don't just decide one day to turn up in somebody's office. You do a lot of research beforehand and you cultivate a relationship with them that involves much more than just the money they might have to offer."

Drummond says that people are asked to sit on University committees, for example, so that "they understand what the issues are at McGill." Or they might be invited to the Faculty of Music's latest opera production. "If you just knock on their door one day out of the blue and hold out your hand, they'll tell you to bugger off."

Being prepared could mean the difference between success and failure, says Heather Reisman, CEO of Indigo Books and Music. "People who approach me ought to do their homework first. There are certain causes that I feel a real attachment to and I'm much more likely to be receptive if the ask is related to them."

While a million-dollar gift can fund a big-ticket item like an academic chair, there is also an art to encouraging people to give smaller gifts on a regular basis. Marie Giguère, BCL'75, Chief Legal Officer and Secretary at Molson Inc., heads McGill's Alma Mater Fund and says the University's impressive annual fundraising efforts benefit enormously from a long-established network of alumni chapters. "You have to build a sense of community and belonging to McGill - that's essential. People who live thousands of miles away still have a connection to McGill and to Montreal. We're one of the few universities in Canada that does this," says Giguère.

Reeling from recent massive budget cuts, universities will have to hone their "artistic" skills as they rely increasingly on private donations, both large and small.

This article was first appeared in English in the McGill Reporter.

M. Crawford aide actuellement l'Institut neurologique de Montréal à amasser des fonds pour son Centre de recherche sur les tumeurs cérébrales. Le Dr David Kaplan, le directeur du centre, accompagne souvent M. Crawford dans ses démarches. « Je présente David au donateur éventuel et je le laisse parler pendant 20 minutes. Le centre, c'est sa passion, et il arrive à l'exprimer dans son exposé. Pour certains donateurs, il est essentiel que le principal en personne vienne à leur rencontre. Ils croient que, si le premier dirigeant se donne la peine de se déplacer, c'est que l'enjeu est important. »

Pour Mme Poy, le choix de la personne qui doit présenter la demande de fonds n'est pas si déterminant que cela. « Ça ne m'influence pas du tout », a-t-elle précisé. « L'important, c'est la cause. En partant, il faut également que j'aie confiance en l'institution. »

Évidemment, il y a des membres du corps professoral qui ne veulent pas participer aux activités de financement. « Certains professeurs considèrent le Bureau de développement comme le rebut de l'Université », a fait remarquer M. Lank. « Ils devraient savoir que, sans les collecteurs de fonds et les bénévoles, ils dépendraient exclusivement de l'État. En pareil cas, s'ils voulaient une bourse pour un étudiant ou améliorer leurs installations, ils pourraient toujours courir. »

M. Crawford se souvient avoir participé à une campagne orchestrée par le pire président que l'on puisse imaginer. « Il finissait toujours par agacer son interlocuteur. Sous d'autres rapports, il jouait bien son rôle de président, mais il était nerveux à l'idée de demander de l'argent. Ça le mettait tout simplement mal à l'aise. » M. Crawford a eu tôt fait de se faire accompagner par quelqu'un d'autre dans ses démarches.

Selon Mme Giguère, il convient de rappeler aux gens les bienfaits à long terme. « Nous devons les convaincre que, comme l'État réduit constamment sa participation financière, ils se doivent d'appuyer les universités pour le bien de la société, tout particulièrement s'ils ont eu la chance de faire des études universitaires. »

« Il n'appartient nullement au Bureau de développement de déterminer comment l'argent recueilli sera utilisé », a expliqué M. Drummond. « Les universitaires nous indiquent le montant que nous devons amasser. Nous formulons nos demandes en conséquence auprès des donateurs éventuels. Nous accordons la priorité à l'aide financière aux étudiants, à l'enseignement, à la recherche et aux bibliothèques. Nous pouvons difficilement sortir de ce cadre. »

« Le donateur a bien le droit de poser certaines conditions; après tout, c'est son argent », a soutenu M. Lank. Il faut avant tout s'assurer que ces conditions ne vont pas à l'encontre des objectifs de l'Université. M. Lank sait que, dans au moins un cas, l'Université a refusé la dotation d'une chaire parce qu'elle n'a pas pu s'entendre avec le donateur sur le choix du titulaire de la chaire. « Dans de telles situations, l'Université doit se désister; elle imposera ainsi le respect. »

« À mon avis, le donateur ne devrait pas imposer de conditions », a mentionné Mme Poy, qui a créé des bourses d'études supérieures à la University of Toronto et des bourses de début d'études pour la faculté des arts de McGill. « Je n'oserais jamais. Je suis une chaude partisane de la liberté des universitaires. » Elle croit cependant que l'on est en droit de s'assurer que les dons contribuent à la réalisation des objectifs décrits par l'université lors de la demande de fonds. « Si je sens qu'il y a un problème, je vais m'objecter immédiatement.»

De même, les universités ne doivent pas manquer d'informer le donateur lorsque l'argent change de main. Mme Poy a expliqué que McGill lui a toujours communiqué le nom des récipiendaires des bourses de début d'études créées grâce à ses dons. « L'Université me tient au courant. Si on se contente de prendre mon argent sans se soucier de moi, ce sera la fin de la relation. »

« L'information circule constamment; nous devons la ventiler en fonction de chaque donateur, » a déclaré M. Drummond. « Nous consacrons beaucoup plus de temps et d'argent au suivi pour répondre aux attentes des donateurs. Nous devons être en mesure de répondre à toutes les questions qui nous sont posées. »

L'État a récemment sabré l'enveloppe budgétaire de l'éducation, et les universités doivent se débattre pour combler le manque à gagner. Si elles veulent survivre, elles feraient mieux d'avoir des réponses en réserve.